Ainsi donc, tu naquis d'un croisement entre le soleil et la pluie, nourrie par les racines de ta nourrice. Petite chose printanière, toute frêle, toute douce et attendue par les juniors qui piaillaient gaiement à tes pieds. Ils attendaient que tu t'envoles. Ou bien, du moins, que tu laisses un de tes petits prendre le vent.
L'un d'eux se détacha doucement. Résignée, tu le laissa partir. Il se laissa porter au gré d'une brise fraîche et agréable. Les juniors, tout excités, lui sautèrent dessus. Tu observas sans rien dire. Après tout, c'était la vie. On apprend à vivre, certes, mais on apprend ensuite à mourir.
Depuis ma tanière, je t'observe. Pourquoi toi ? C'était une bonne question, mais rhétorique, hélas. Tes petits s'agitèrent nerveusement. De la nature morte, voilà ce que tu étais, rien de plus que de la nature morte ! Tu ne parlais pas, tu n'avais pas de sentiments. Mais j'aimais rêver. Il ne fallait pas que l'on me prenne pour un fou. Car je ne l'étais pas.
Mon regard ne dériva pas de tes petits, qui s'agitaient toujours plus frénétiquement. Un bourrasque se leva : légère pour moi mais brutale pour eux.
Ce fut à ton tour de t'envoler. Je te suivis du regard. Où allais-tu donc ?
Qu'est-ce qu'une fleur de printemps pouvait bien en avoir à faire de se soucier où le vent l'emportait - puisque, de toute manière, elle ne vivait pas ?
Je sortis de ma rêverie alors que un des juniors t'avalait goulûment, curieux de connaître ton goût inédit. Pour ma part, je n'avais jamais mangé des tiens ; je n'étais pas végétarien.
J'étirai longuement mes pattes avant, dubitatif. Encore un baptême à célébrer. Si cela continuait ainsi, j'allais devoir représenter Étoile de Feu à la prochaine assemblée... cette seule idée me fit frémir d'appréhension.
Un Pyroli sur le promontoire, à côté des autres chefs !
Oh, et puis zut. Je n'avais jamais été hué. On me respectait bien assez pour ne pas avoir à se moquer de moi.
Je n'avais pas à avoir de craintes, en définitive.
J'observai un peu le camp. La patrouille de midi venait à peine de rentrer et les guerriers n'allaient pas tarder à se restaurer. Je me levai alors qu'ils se dirigeaient vers la pile de gibier, sautai sur le promontoire et prononçai l'appel traditionnel pour inciter le Clan à se rassembler autour de moi.

- Aujourd'hui, nous allons célébrer un nouveau baptême. j'attendis le silence total et dirigeai mon regard vers celle que je cherchais. Petite Plume, veux-tu bien venir me rejoindre ?

L'angoisse ne m'avait pas quitté. J'étais jeune, et peu expérimenté pour ce genre de choses.
Un entraînement en plus, ce n'était pas un mal, après tout...

La nouvelle apprentie me rejoignit alors avec empressement. Cela me replongea des lunes en arrière - j'étais jeune, ce n'était donc pas si loin que ça dans mon esprit - et je me souvins de mon propre baptême d'apprenti. Je me souvenais de la tête d’Étoile de Feu, qui me couvait d'un regard affectueux et moi, en retour, un regard empli de respect. Je me souvenais aussi très clairement de tous ces regards brûlants posés sur mon être, je me sentais grand et petit à la fois. Je me souvenais de mes parents, fiers de moi, et de tous ces autres chasse-proies et garde-carvernes qui affichaient une mine réjouie et festive - et comment aurais-je pu savoir que j'irais jusqu'au grade de lieutenant ?
Je suivis du regard la petite boule de poils énergique. Elle s'assit devant moi, sans rien dire, les yeux brillants, ces mêmes yeux qui se braquèrent sur moi avec espoir.
- Petite Plume, commençai-je, tu es aujourd'hui apte à devenir apprentie. Ton nom sera Nuage de Plumes.je marquai une petite pause en l'observant avec sympathie. Et je serai ton mentor.
Je lui souris chaleureusement, le temps de lui faire un petit effet. Ferait-elle une crise d'hystérie ? J'étais sûr et certain qu'elle ne s'attendait pas à ce que je sois son mentor ; j'espérais juste qu'elle m'obéirait et qu'elle n'en ferait pas trop à sa tête...